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vendredi 20 octobre 2017

Saga des Raphalen : suite et fin

Après des articles sur Pierre-Marie (Bulletin municipal de Plovan 2017, en cliquant ici), Jean (Cap Caval n° 38, juillet 2017) et Sébastien (Le Lien, revue généalogique du Finistère, n° 145, mars 2018), notre série d'articles sur la famille Raphalen s'achève par les deux derniers membres de la fratrie, ceux que l'on connaît le moins, faute de sources : Daniel et Corentine.

Daniel Raphalen (1875-1911)

À quoi rêve Daniel Raphalen, le 17 juin 1896, lorsqu'il marche à travers la place Saint-Corentin en direction de l'Hôtel de ville de Quimper ? Les travaux d'écriture comme clerc de notaire chez Me Guirriec, à Peumerit, où il travaille depuis quelques mois, l'ont-ils déjà lassé ? On ne le saura jamais. Le jeune homme de 21 ans, aspirant certainement à une vie plus aventureuse que celle qui s'esquisse pour lui, s'apprête à signer un engagement volontaire de trois ans dans l'infanterie. Sa fiche matricule nous dépeint un homme d'1,65 m. aux cheveux et aux sourcils bruns, le visage ovale avec des yeux châtains, un petit nez et un menton rond. 
Au lendemain de son engagement, il rejoint les rangs du jeune 6e régiment d'infanterie de marine de Brest. Promu caporal puis sergent, il renouvelle son engagement pour trois ans en 1899, année où il passe au régiment de « tirailleurs soudanais » – ancêtre des fameux régiments de tirailleurs sénégalais – au sein duquel il participe, d'octobre 1899 à juin 1902, aux conquêtes coloniales du « Soudan français » (dans l'actuel Mali).

Régiment de tirailleurs soudanais à Kati, à proximité de Bamako vers 1900


Il reste en AOF (Afrique occidentale française) jusqu'en mars 1904, moment où il intègre le 2e régiment de tirailleurs tonkinois basé au Sept-Pagodes, à l'est d'Hanoï, dans le nord de l'Indochine. S'ensuivent deux nouvelles années de guerre coloniale dans le delta du Fleuve Rouge, avant qu'il ne change encore une fois d'unité et repose le pied sur le sol métropolitain, après huit ans d'absence. Au Tonkin, son uniforme et celui de ses subalternes ressemblaient sans doute à ceux qu'on peut observer sur la photo, légèrement postérieure, placée ci-dessous.


Clairons du 4e régiment de tirailleurs tonkinois en 1918

Le 19 juin 1911, pour une raison indéterminée – maladie, traumatisme physique ou mental lié aux guerres qu'il a menées, consommation d'alcool ou de drogue... ? –, après quinze ans de carrière sur les différents théâtres d'opérations de l'empire colonial français, il passe devant la commission spéciale de Quimper qui le réforme pour « aliénation mentale ». Il meurt quelques jours plus tard, le 4 juillet 1911, chez son frère Sébastien au bourg de Plonéour. Son enterrement a lieu le lendemain à Plovan. L'événement est jugé suffisamment important pour être relaté dans la presse (Le Citoyen, 15 juillet 1911) :



« Mercredi 5 juillet courant, on enterrait à Plovan M. Daniel Raphalen, ex-sous-officier de l'infanterie coloniale, décédé chez son frère M. Sébastien Raphalen, commerçant à Plonéour-Lanvern. Une foule nombreuse a accompagné le malheureux militaire à sa dernière demeure. Toutes les communes depuis Pont-l'Abbé jusqu'à Plozévet, étaient représentées, car la famille Raphalen dont le père a été pendant de longues années, maire à Plovan, est très honorablement connue dans la région. Sur le cercueil étaient placés le sabre du défunt et les nombreuses médailles qu'il avait méritées sur les territoires du Sahara et du Soudan. La veille de sa mort, coïncidence douloureuse, la gendarmerie de Plogastel [le] recherchait à Plovan pour lui faire signer sa liquidation de retraite. »


Est-ce lui que certains témoins se souviennent avoir vu en photographie, vêtu d'un uniforme et armé d'un sabre, à l'intérieur de la maison de Pierre-Marie Raphalen ? Et lui encore qui a rapporté cette étonnante collection d'éléphants en ivoire, vu autrefois dans le même intérieur ? C'est plausible.



Pendant que ce frère, suppôt d'une colonisation tricolore triomphante, découvrait le vaste monde, les autres enfants Raphalen aspiraient plus modestement à développer leurs affaires, avec des fortunes diverses. Ils se marient tous entre 1896 et 1905 : l'aîné, Pierre-Marie, devient négociant en vins au bourg de Plovan.  Les deux autres frères tentent l'aventure ailleurs : Jean, après avoir été plusieurs années boulanger au bourg de Plovan et avoir entrepris de s'établir à Pluguffan avec sa première femme, s'installe comme hôtelier-restaurateur à Pont-l'Abbé avec sa seconde épouse ; Sébastien, établi comme boucher au bourg de Plonéour-Lanvern, il devient un important marchand de beurre et d’œufs avant de fonder une usine de conserves alimentaires en 1926. Quant à la cadette, Corentine, unique fille de la fratrie, mariée à Jean-Marie Le Pape, elle devient commerçante dans son bourg natal.



Corentine Raphalen (1878-1908) et ses enfants

Bien qu'elle soit la plus jeune, Corentine, l'unique fille de la fratrie, est la seconde à se marier, un an et demi après son frère aîné. On lui choisit pour mari un jeune homme de bonne famille, fils comme elle d'un ancien maire de Plovan : Jean-Marie Le Pape (1874-1931), de Kerguelen vras, petit homme brun d'1,65 m., ajourné pour faiblesse au service militaire en 1895 et 1896. Les Le Pape sont l'une des plus riches familles de la commune, à la tête d'un important patrimoine comprenant les fermes de Kerguelen vras (15 ha), de Pompouillec (13 ha) et de Kervardez (13 ha) ainsi que le moulin à vent de « Kerangoff » (aujourd'hui Kergoff) et des droits sur Stang Liou et Goarem-Vez.

Maison d'habitation de Kerguelen vras, berceau de la famille Le Pape (collection de l'auteur)

  Jean-Marie Le Pape a trois frères et deux sœurs :

  • Daniel Le Pape (1868-1942), marié en 1892 à Marie Gentric, de Renongard, fille du maire Michel-Daniel Gentric. Ils ont huit enfants. Il est propriétaire à Pompouillec (1895-1902) avant de s'installer, entre 1902 et 1905, à l'angle de la place de la République et de la rue Hoche à Pont-l'Abbé, où il est marchand de vins (1905-1913) puis simple employé (1926).
  • Marie-Jeanne Le Pape (1871-1967), mariée en 1889 à Jean Gentric, propriétaire à Kerstéphan. Ils ont trois enfants. Ils vivent à Kerstéphan (1889-1896) avant de s'installer à Quimper (1901-1906). Veuve à partir de 1909, Marie-Jeanne vit par la suite à Kerfeunteun (1914-1921).
  • Jean Corentin Le Pape (1881-1973), militaire de carrière dans l'infanterie (1899-1919) puis percepteur, marié en 1912 à Marie Supiot, originaire de Villedieu-la-Blouère (Maine-et-Loire). Ils ont deux enfants. À sa mort, il est domicilié à Descartes (Indre-et-Loire).
  • Marie Mathurine Le Pape (1883-1968), mariée en 1905 à Alain Guéguen, originaire de Pouldreuzic. Ils s'installent à Kervardez (1905-1909) puis à Kerstéphan (1911). Veuve de guerre, elle se remarie en 1919 avec Daniel Le Bec, du Viny, futur maire de Plovan. Elle a eu au total quatre enfants de ses deux mariages.
  • Michel Le Pape (1887-1978), marié en 1920 à Marguerite Pia Catherine Le Goff, de Plozévet. Ils ont trois enfants. Il est clerc de notaire puis expéditeur de grains et de légumes à Ergué-Armel et enfin marchand de charbon et de pommes de terre à Quimper.

 

Maison de commerce Le Pape vers 1925 (carte postale CIM, collection de l'auteur)

Le mariage de Corentine Raphalen et Jean-Marie Le Pape est célébré à Plovan le 13 juin 1897. Ils s'installent comme commerçants dans une ancienne maison du bourg, à l'emplacement de la bâtisse que l'on voit en blanc sur cette photo du milieu des années 1920. Occupé jusque-là par le tailleur Yves Bourdon, leur nouveau foyer n'est composé, en 1897, que d'une « maison d'habitation avec appentis [côté ouest], partie nord, construite en simple maçonnerie et couverte en ardoises, ouvrant au levant de deux portes et d'une fenêtre, ayant deux cloisons et un grenier avec une cour ou passage au midi et au couchant, une soue à porcs à l'angle sud-ouest de la cour et droit de puiser de l'eau dans le puits sis au nord-ouest de l'appentis susmentionné. » (Le Finistère, 23 février 1897). Ils transforment l'édifice d'origine dans les années suivantes, lui donnant l'aspect visible sur la photo et qui, d'extérieur, est toujours le sien aujourd'hui après avoir été acquis par la commune et transformé en logements sociaux. En 1929, c'était encore « une maison d'habitation et de commerce ayant rez-de-chaussée, étage composé de 7 pièces, grenier au dessus, un bâtiment servant de magasin, une crèche, une cour et le droit au puits. » (Le Citoyen, 7 février 1929). 

C'est probablement là que naissent les trois filles du couple Le Pape-Raphalen :

  • Joséphine (dite « Fine ») Corentine Marie Le Pape (née au bourg de Plovan le 4 mai 1898 – morte à Bordeaux le 14 novembre 1972).
  • Eugénie Jeanne Marie Le Pape (née au bourg de Plovan le 20 décembre 1899 – morte au bourg de Plovan le 25 juillet 1917).
  • Marie Louise Le Pape (née au bourg de Plovan le 3 mars 1902 – morte à Quimper le 3 janvier 1976).

Baptisées aux lendemains de leur naissance, ces nourrissons donnent l'occasion à leurs parents de renouveler les liens avec leur entourage de familiers par le choix d'un parrain et d'une marraine. Dans la plus pure tradition catholique, les parents choisissent ces derniers parmi les oncles et les tantes de leurs filles, en respectant à chaque fois la parité entre branche paternelle et branche maternelle. Corentine L'Helgoualc'h, la femme de Pierre-Marie, est ainsi la tante et la marraine de Joséphine Le Pape, qui vit à quelques mètres d'elle dans le bourg de Plovan. Eugénie devient la filleule de son oncle Jean Raphalen, pour lors encore célibataire et installé chez la grand-mère Scaon au bourg de Plovan. Marie Louise Le Pape doit quant à elle ses prénoms à sa marraine, Marie Louise Lucas, épouse de Sébastien Raphalen, de Plonéour.

 

Les trois filles Le Pape : Joséphine et Marie, à gauche vers 1918, et Eugénie, à droite vers 1915 (collection de l'auteur)

Passée la naissance de Marie, le couple ne donne plus naissance à aucun enfant. Corentine Raphalen a-t-elle déjà des problèmes de santé ? C'est envisageable. Elle meurt six ans plus tard, le 31 octobre 1908, à l'âge de 30 ans. C'est en partie pour cela que, des cinq enfants Raphalen, c'est elle qui est la plus mal aisée à connaître. Hormis ses dates de naissance, de mariage, d'accouchements et de décès, on sait peu de choses la concernant. 

Se retrouvant veuf avec trois jeunes filles âgées de 6 à 10 ans, Jean-Marie Le Pape fait étonnamment le choix de ne pas se remarier. Sa mère, Marie-Anne Le Goff (1843-1936), veuve pour sa part depuis 1898, s'installe chez lui sans doute afin de s'occuper de ses petites-filles. Au besoin, l'aïeule peut compter sur sa propre fille, Marie Le Pape, épouse Guéguen, établie à Kerstéphan, une ferme à proximité immédiate du bourg. Au-delà de son métier de commerçant, Jean-Marie Le Pape est un homme engagé dans la vie de sa commune : conseiller municipal (1912-1925), il est membre de la majorité républicaine radicale qui dirige Plovan tout au long de la IIIe République ; il apparaît aussi à plusieurs reprises parmi les répartiteurs (1914, 1919, 1921, 1923...), c'est-à-dire les hommes qui établissent le nombre de journées de travail que chaque habitant doit, en guise d'impôts locaux, consacrer à la commune sur une année. 

Lorsque la guerre éclate, malgré sa situation familiale, il est déclaré bon pour le service (12 novembre 1914). Mais en considération de son âge – il a plus de 40 ans – il n'est quasiment affecté qu'à des régiments d'infanterie territoriale (RIT), à commencer par le 86e RIT de Quimper, des unités normalement moins exposées aux combats (il aurait malgré tout été gazé). Mobilisé le 13 mars 1915, il est successivement incorporé au 5e groupe cycliste de Vitré (mars 1915), au 4e bataillon de chasseurs à pied (juillet 1915), au 59e RIT de Chalon-sur-Saône (octobre 1915) et au 64e RIT de Nevers. Il passe ensuite au 53e RI (juillet 1917) puis au 49e RIT (octobre 1918). Absent pendant plus de quatre ans, Jean-Marie Le Pape n'est pas là lorsque sa fille Eugénie meurt en juillet 1917. À la fin de la guerre, il intègre le 5e régiment du génie (novembre 1918). Il est envoyé en congé illimité de démobilisation le 3 avril 1919.

Six mois après son retour, en septembre 1919, il marie sa fille aînée à Pierre-Marie Burel (1890-1970), de Kergorentin. Il leur vend son fonds de commerce – boulangerie, draperie, épicerie et débit de boissons – en avril 1920 et entame alors une activité d'entrepreneur en travaux publics (Le Citoyen, 7 mai 1920). À ce titre, il réalise le pont permettant d'accéder à la grève de Tréogat, enjambant le canal reliant les étangs de Kergalan et de Trunvel.

Pont d'accès la grève de Tréogat, construit dans les années 1920 (collection de l'auteur)

Ses petits-enfants, bien qu'ils ne l'aient pas ou peu connu, ont conservé une anecdote peu banale le concernant : à une époque où les naufrages à la côte de Plovan sont encore assez courants, Jean-Marie Le Pape acquiert une épave de voilier sur laquelle il récupère voiles, ferrailles (rambarde ciselée, grilles de fond de cale), poulies, miroir de la cabine du commandant... autant d'objets dont une partie se retrouve des années plus tard employée dans la ferme de sa fille à Cruguen. Il se rend également propriétaire de la belle maison en pierres de taille, voisine de son commerce, un ancien presbytère construit sans doute au XVIe siècle et restauré vers 1628. Outre la maison d'habitation faisant face à l'église, la propriété comprend aussi une petite maison avec four, une écurie et un hangar.


Maison de Jean-Marie Le Pape dans les années 1920

À l'époque, elle est encore associée à un appentis au pignon couchant, comme on peut le voir sur cette photo. Sur la crête du toit, on distingue aussi un petit paratonnerre. Dans l'une puis l'autre de ses maisons, il a l'habitude de loger quelques pensionnaires ou locataires : Plovan accueillant jusqu'à la fin des années 1920 une brigade de douaniers, plusieurs d'entre eux vivent en pension chez lui. À la même époque, le facteur Michel Simon lui loue une pièce pour exercer son autre activité, celle de tisserand.

Dans le Plovan de l'époque, la maison Burel-Le Pape reste l'un des principaux commerces du bourg. Georges Goraguer rapporte dans ses souvenirs qu'outre la boulangerie et le débit de boissons, « l'établissement de Fifine Le Pape [jouait à l'occasion] le rôle de restaurant et logeait à pied et à cheval. » À plusieurs reprises au cours de ces années, s'y déroulent de grands banquets marquant les temps forts de la vie communale. Mais à partir de 1928, ce lieu de fête et de libations s'attire les foudres du recteur Maréchal. Joséphine Le Pape et son mari ne sont pourtant pas de mauvais paroissiens : un an après leur mariage, en septembre 1920, le couple avait offert à l'église une statue de sainte Jeanne d'Arc, que le recteur fit placer sur l'autel auprès de la sacristie. C'était peut-être là l'accomplissement d'un vœu en reconnaissance de la protection de la sainte patronne de la France pendant la guerre. Ce que le prêtre leur reproche à partir de février 1928, c'est l'organisation de bals dans leur commerce les dimanches et jours de fêtes religieuses... ! Mais bien que le curé dénonce publiquement en chaire les salles de danse et refuse à Joséphine de faire ses Pâques, rien n'y fait, les bals continuent. Il faut dire que le commerce a alors un impérieux besoin de l'argent que lui rapporte ces réjouissances.


La situation financière du couple Burel est en effet critique. Au début de l'année 1928, ils ont été assignés devant le tribunal de commerce de Quimper par Félix Moysan, négociant en vins et spiritueux à Pont-l'Abbé, pour une livraison de marchandises restée impayée depuis décembre 1926. Dans le courant de l'année, d'autres créanciers suivent son exemple, si bien que le 19 octobre 1928, face à l'impossibilité des intéressés de payer, le tribunal est contraint de prononcer la faillite du commerce. L'implacable mécanique judiciaire se met alors en marche : la faillite est annoncée dans la presse, rameutant quantité de créanciers, les biens du couple sont saisis et finalement mis en vente. Dans son journal, le recteur, décidément parfois bien peu charitable, note alors :



« La justice de Dieu qui passe. Le 29 octobre 1928, les scellés sont apposés sur la maison de Pierre Marie Burel et de Joséphine Le Pape du bourg. Par suite de faillite. Donc la salle de danse est fermée pour le moment. Le 30 décembre, c'est la vente du mobilier de cette maison et plus tard ce sera la vente de la maison. […] Le 14 février, la maison est vendue aux enchères, dans la mairie de Plovan, à Corentin Goanec. »



Mais ces difficultés n'empêchent pas les Burel, en particulier Joséphine, de rester fidèle à leur caractère généreux. Jusqu'à l'excès peut-être : Joséphine aurait accepté depuis des années d'être la marraine de très nombreux enfants de Plovan. C'est elle et son mari qu'il faut sans doute voir à travers l'accueillant couple d'aubergistes qui reçoit une trentaine de scouts parisiens de passage à Plovan au cours de l'été 1928. L'épisode est relaté par le père jésuite Paul Doncœur, l'adulte encadrant la troupe, dans un récit de voyage écrit dans un style élégant, qui mérite d'être cité en longueur :



« Plovan, c'est, au bout du monde, le pays perdu entre tous. Point de route ; on n'y accède que par surprise. Mais aux curieux de la vraie Bretagne, il offre une image presque intacte : autour d'une église, ceinte de son cimetière aux dalles en déroute, quelques fermes, puis le bourg aux murs élevés qui lui donnent un air de forteresse. Nos fourriers [NDR : avant-garde des scouts préparant l'arrivée du groupe] n'ont pas achevé de dire qui nous sommes que le sonneur [Albert Boissel, le bedeau] se précipite : « Ah ! mais au meeting de Landerneau j'étais, moi, avec notre recteur et avec notre organiste [Daniel Le Bec, de Kerstéphan]. Ah ! c'était beau mon Père... Mais oui, pour sûr, on va vous loger. Et c'est M. le recteur qui regrettera ! À Quimper, il est, à la retraite. » Sur ces entrefaites, une jeune femme [Joséphine Le Pape ?] s'est avancée, résolue ; elle nous conduit dans une grande pièce encombrée de tables, de barriques, de bancs : c'est la salle de noces. « Mais oui pour trente, il y en aura bien de la place. – Et de la paille ? – L'organiste à Ker-Stéphan vous en donnera, bien sûr ! – Et la soupe ? – On vous la cuira. – Et du beurre ? – On en a. – Et des confitures ? – Des confitures. – Et du cidre ? – Du cidre. – Et du café ? – Du café. ».

Le campement a déblayé en un tournemain la place. Dans la petite cuisine, les cuistots aidés de l'aubergiste [Pierre-Marie Burel ?] font déjà roussir les omelettes sur le feu. Les tables sont mises, les grands pains s'amoncellent. Vrai repas de noce auquel ne manquent ni le cidre, ni les chansons. Dans la rue, dans la salle même, les curieux sont nombreux. Comme toujours, la prière avec eux. Et puis, bonsoir. »



Parenthèse souriante dans un climat familial sans doute pesant. Dans les mois et les années qui suivent l'annonce de la faillite, les demandes de paiement ou de remboursements affluent auprès du syndic chargé de régulariser la situation. Factures de marchandises impayées, impôts et gages de domestiques restant à acquitter, emprunts d'argent dans la famille ou auprès de gens proches à Plovan... Le 7 novembre 1930, le juge commissaire de la faillite indique que, faute de fonds, la procédure ne peut se poursuivre et la clôt. Pour qualifier cette histoire, on parlerait aujourd'hui de spirale du surendettement. Mais dans la société villageoise des années 1920, ce ménage honnête mais malheureux en affaires dû affronter sans l'ombre d'un doute les ragots et les quolibets, sans compter l'humiliation publique de voir ses biens dispersés. Des blessures moins tragiques que les problèmes traversés dans les mêmes années par leur oncle Pierre-Marie Raphalen et sa famille, à quelques mètres seulement dans le même petit bourg de Plovan. Mais des blessures suffisamment douloureuses pour les amener à quitter la région. Dès janvier 1929, la famille Burel, qui a vu naître quatre enfants entre 1920 et 1926, quitte définitivement la Bretagne pour s'établir en Gironde. Établis à leur arrivée comme fermiers au domaine de Piveteau en Créon, ils changent à plusieurs reprises de domiciles (Haux en 1930, Le Pout en 1933...) avant de faire souche à Cénon, où deux des filles Burel se marient dans les années 1940. Par la suite, « Fine Pape » et son mari reviendront assez régulièrement à Plovan.


Les filles Le Pape en mariées : Joséphine avec Pierre-Marie Burel à gauche en 1919 ; Marie avec Corentin Glaz à droite en 1924 (collection de l'auteur)


Après ce départ, ne demeure donc à Plovan que la plus jeune fille de Jean-Marie Le Pape et Corentine Raphalen : Marie, qui a épousé, en 1924, Corentin Glaz (1895-1969), fils de modestes cultivateurs plovanais. Elle s'installe avec lui à Cruguen, près de l'étang de Kergalan, dans une petite ferme héritée de sa mère – autrefois demeure de douaniers – dont le couple devient propriétaire en 1927. Ils cèdent une partie de leurs terres à la commune deux ans après afin de permettre la réalisation du nouveau cimetière. Jean-Marie Le Pape, dont la reconversion comme entrepreneur n'a pas fait long feu, meurt quelques mois plus tard, en janvier 1931. La deuxième maison du bourg est alors à son tour mise en vente et quitte le giron familial.

Photos de Cruguen, chez Corentin Glaz et Marie Le Pape, ici en 1976 (collection Victoria Le Roux)



Depuis l'extinction de la branche aînée de la famille Raphalen avec la mort de Jeannette en 1988, les enfants et petits-enfants de « Mari vihan Cruguen » sont les derniers descendants plovanais de Charles Corentin Raphalen, maire de Plovan entre 1874 et 1883.


Mathieu GLAZ

Sources 

ADF, 1 R 1165, classe 1895, n° matr. 396 (fiche matricule de Daniel Raphalen)

Archives familiales (photos, papiers...)


Archives municipales de Plovan (état civil, registre de délibérations 1912-1925...)


Archives paroissiales de Plovan, journal de Jean-Marie Maréchal (1910-1941)


DONCŒUR Paul, « Routes de Bretagne », Études, t. 197, octobre-décembre 1928, p. 9-10.


Presse quotidienne ancienne (consultable sur le site des ADF)