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samedi 7 juin 2014

Le train carottes à travers Tréogat, Plovan et Pouldreuzic

« La ligne jouait à saute-moutons entre vallons et éminences, se perdait dans la touffeur du bocage avant, sur les hauteurs, de dominer le grand arc de cercle de la baie d'Audierne, alternait les plongées dans la verdure et les lumineuses échappées sur la mer... ». Serge Duigou, dans son ouvrage Quand s'essoufflait le train carottes aux éditions Ressac, nous donne envie de le connaître ce petit train pourtant mal né et trop vite disparu. Contestée par les uns puis par les autres, de modifications de parcours en modifications, souvent sous la pression des plus influents, la ligne était ouverte le 1er octobre 1912.

Reliant Pont-l'Abbé à Audierne en passant par Pont-Croix, son rôle principal était de transporter les récoltes de légumes vers les conserveries, d'où les noms de train carottes ou patates. Le parcours de 35 kilomètres entre Pont-l'Abbé et Pont-Croix était couvert en 114 minutes à la moyenne de 18 km/h. Ce train nous apparaît avec le recul mal conçu, mal né, à un mauvais moment (deux ans avant la guerre) et trop vite concurrencé par l'automobile.

Carte de 1924


Pourtant, en ne transportant des voyageurs que durant vingt deux ans, ce gentil tortillard a laissé son image dans l'esprit de tous. Pourquoi ce souvenir gentiment affectueux ? Serge Duigou dans son ouvrage, répond à cette question : « Le pittoresque était au rendez-vous, pimenté de surcroît d'un brun de suspense. Chaque rampe un peu abrupte prenait des allures de défit, d'épreuve à surmonter? Arrivera, arrivera-ty-pas ? Un train qui alliait l'émotion de l'inconnu à la beauté du paysage, on comprend qu'il ait marqué les esprits ».
Il rappelle aussi ce que Pierre Jakez Hélias a écrit à ce propos dans Le cheval d'orgueil : « Le train coupe les routes et les chemins sans autre forme de procès. Il brinquebale à la lisière des champs. Au bas de la levée qui porte le chemin de fer, il y a toujours quelque petit vacher à plat ventre qui ouvre la bouche sur neuf heures, quelques fillettes aux bras chargés de digitales qui rougissent de confusion. Le cheval noir siffle pour leur faire plaisir autant que pour avertir je ne sais qui de je ne sais quoi... ».
Autre témoignage, celui de Monsieur Le Corre de Pouldreuzic cité dans l'ouvrage de Serge Duigou : « Le train c'était pour nous un spectacle [...] Le train faisait partie de notre vie, quand bien même on ne le prenait jamais. Les gens réglaient leur montre sur son passage ; s'il avait dix minutes de retard, tout le canton prenait du retard... ».
Les contemporains du train, même s'ils ne l'avaient pas utilisé se souviennent d'anecdotes relatives à son sifflet, ses problèmes avec les côtes, anecdotes qu'on leur avait raconté.  


De Tréogat à Pouldreuzic en 1920

L'Association du Patrimoine de Plovan est partie sur les traces du train carottes de Tréogat à Pouldreuzic, retrouvant, perdues dans la végétation, des ouvrages surprenants, très bien conservés. 


Le train venant de Plonéour traverse la route et descend vers Tréogat () en longeant la voie routière pour franchir le ruisseau coulant vers l'étang de Trunvel sur un pont commun ().

(1) Descente vers Tréogat


(2) Pont GC2

Après être passé devant Lesvagnol, il oblique en direction de la gare de Tréogat. Il longe l'école actuelle, coupe la route menant à Plovan pour s’arrêter à la station ().

(3) Gare de Tréogat


Sortant du bourg, il arrive sur la commune de Peumerit en frôlant Kergoulou. Suivant la longue levée haute de plusieurs mètres, indispensable sur cette zone marécageuse et inondable (en 1936, le maire de Plovan expose au conseil municipal avoir reçu plusieurs réclamations et plaintes de riverains qui se trouvaient sérieusement menacés par l'eau de l'étang de Kergalan qui avait envahi toute la vallée entre Plovan et Tréogat, jusqu'au village de Pont-Dévet distant de l'étang de 6 km environ), le voici sur le territoire de Plovan à hauteur du moulin de Pontalan. Il franchit le cours d'eau qui dévale vers l'étang de Kergalan sur un petit pont ().

(4) Le pont de Plovan


Ce pont est un ouvrage surprenant, aujourd'hui envahi par la végétation, mais remarquablement bien conservé. Félix Droval nous expliquait que « les ouvriers chargés de la construction de la voie avaient rencontré beaucoup de difficultés à cet endroit. Ils avaient creusé jusqu'à 4 mètres de profondeur pour assurer les fondations, découvrant là des galets marins » (entretien d'anciens élèves de l'école de Plovan).
Laissant à sa gauche Kerscaven, il s'annonce bruyamment en arrivant devant la halte de Pont-Devet () dont il repart vers Pouldreuzic en coupant la seconde route qui conduit à Plovan.

(5) Halte de Pont-Devet à Plovan


Il ralentit avant de passer la voie qui conduit à Penhors et pénètre dans le bourg, pour s'arrêter devant la gare à la hauteur de l'usine Hénaff. L'arrêt est important car le chauffeur, le mécanicien et le chef de train font le plein de la machine en eau et charbon, puis le leur au bistrot de la gare.

(6) Station de Pouldreuzic


Après cet intermède, le train carottes repart vers Plozévet sur un parcours accidenté, passe sur le pont à côté de Trégonéter () saluant au passage le Lapin Bleu et s'éloigne en direction d'Audierne.

(7) Pont de Trégonéter



Plovan et le train carottes


Les archives municipales ont apporté des renseignements sur les relations entre la Compagnie des Chemins de fer départementaux du Finistère et la municipalité de Plovan. 
Le 1er octobre 1912, Jean Marzin note « passage du train le 1er octobre : vitesse 18 km/h ». Le train circule, mais pour les voyageurs de Plovan, la situation n'est pas idéale en cette fin d'année 1912. Imaginons un candidat au voyage désireux de tenter l'aventure. Il se rend à Pont Devet, lieu situé en plein bois où il doit guetter le passage du convoi debout au bord de la voie, puisqu'il n'y a pas d'abri, et cela par tous les temps.

L'emplacement de la voie ferrée à Pont-Devet



Il ne doit pas, bien sur, oublier de faire signe au conducteur, l'arrêt étant facultatif.



La municipalité s'inquiète de cette situation et, le 1er octobre 1912, délibère : « Sur la proposition de Mr Le Maire, le conseil considérant la somme relativement élevée votée pour la construction d'une halte-abri à la gare de Plovan, sollicite le cas échéant et une fois les travaux terminés, le retour à la commune de l’excédent qui pourrait se produire. En outre, considérant la difficulté pour les voyageurs illettrés ne comprenant que la langue bretonne d'avertir le chef de train de faire arrêter à la station dudit lieu ; considérant qu'un oubli est possible à tout le monde et que, par suite, dans la nuit, on est transporté soit à Tréogat, soit à Pouldreuzic, selon la direction du train, émet le vœu que l'arrêt facultatif devienne réel et obligatoire ».

En février 1914, nouvelle intervention : « Mr Le Président [du conseil municipal] fait observer que la halte-abri à la gare de Plovan, sollicitée par la population et dont les fonds ont été entièrement votés par le conseil, tarde à faire preuve de son existence. Le conseil ne comprenant pas une pareille négligence émet le vœu que Mr Le Préfet fasse faire les démarches nécessaires auprès de la compagnie pour hâter les travaux dudit bâtiment tant attendu. »

Enfin, en janvier 1915, Plovan peut disposer de sa halte-abri :



Autre gros problème : les horaires. Aucune proposition ne convient : à la session de février 1916, « l'attention du conseil a été appelée sur le changement apporté à l'horaire des trains se dirigeant de Quimper sur Pont-L'Abbé et rendant à peu près impossible le retour de Quimper par le train pour la commune et pour les autres communes desservies par la ligne de Pont-l'Abbé à Audierne... Attendu que cet état de choses crée des difficultés pour les déplacements et les voyages, surtout à ce moment où les moyens de locomotion sont plutôt rares et où les personnes de la campagne, ayant peu de chevaux... ont intérêt à se servir des lignes ferrées... Et sollicite le rétablissement du train de 21h30 pour faciliter l'arrivée des permissionnaires dans leur famille. ».

En février 1918, le conseiller Corentin Goanec attire l'attention en signalant la défectuosité que présente la voie ferrée à deux endroits : « M. Goanec signale la défectuosité que présente la voie ferrée aux deux endroits où elle coupe la route Plovan-Tréogat : près de la gare de Tréogat et près de celle de Plovan. Le conseil décide qu'une demande sera adressée à Mr Le Préfet pour le prier de faire près la Compagnie les démarches nécessaires pour que la commune obtienne satisfaction. ».
Après 1918 les relations entre la municipalité de Plovan et le train carottes semblent aussi distantes que la halte l'est par rapport au bourg de la commune. De plus, les difficultés pour obtenir cet arrêt obligatoire ajoutées aux problèmes d'horaires, peuvent expliquer l'absence d'intérêt dans les délibérations municipales après cette date.

Au mois d'août 1931 le conseil refuse l'augmentation des tarifs : « Monsieur le Maire soumet au conseil le dossier présenté par la compagnie de chemins de fer tendant aux relevences des tarifs de transports ; après un vote secret et à la majorité, le conseil donne avis défavorable, considérant que le prix qui est actuellement en vigueur est assez élevé. ». Fin 1934, le service voyageur est supprimé : le train carottes ne sifflera plus !

Le train carottes


Le 29 septembre 1942, la municipalité achète la portion plovanaise de la voie ferrée : « Monsieur le maire donne lecture au conseil de la lettre de Mr Le Préfet du Finistère en date du 12 août 1942 concernant la vente de la voie ferrée d'intérêt local de Pont-l'Abbé à Pont-Croix (la voie, le ballast et les bâtiments).
Considérant que la plate-forme de la voie peut être utilisée et que le ballast est nécessaire pour l'entretien des chemins de la commune
Décide d'acquérir aux conditions fixées par la lettre préfectorale le ballast et la voie située sur l'étendue de la commune, d'une longueur de 1615 mètres et sous réserve du prix fixé par les Ponts et chaussées, la halte et son terrain d'accès
Prends l'engagement d'affecter à un service public les terrassements à acquérir dont il s'interdit la revente. »

En 1943, aliénation... : « Mr Le Maire expose au conseil que le bureau départemental a décidé l'aliénation au profit de la commune de la station de Plovan et ses dépendances provenant de la ligne déclassée des chemins de fer départementaux de Pont-L'Abbé à Pont-croix au prix fixé par Mrs les Ingénieurs du service des Ponts et Chaussées soit 4500 francs ».

Tracé du train selon les relevés cadastraux et la carte IGN de 2000

Est-ce l'éloignement de la halte de Pont Devet, l'indifférence des habitants pour ce moyen de transport ? Toujours est-il que nous ne retrouvons pas d'intérêts passionnés de la part de la municipalité de Plovan pour le train carottes. Serge Duigou conclut dans son Histoire du Pays bigouden en expliquant que « la route va vaincre le rail, avec une sidérante rapidité. Des investissements lourds, des aménagements considérables pour un règne bien éphémère... ».


René LOZACH